« Président-politicien, terminez votre second et dernier mandat, et rendez-nous notre pays dans la paix ! »
Avant le 19 mars 2000, et même quelques années après l’avènement de Me Wade au pouvoir, vous n’auriez sans doute jamais cru que, le 25 mars 2012, 58% des Sénégalaises et des Sénégalais allaient décider, par leurs suffrages, de faire de vous son successeur. Trois ans auparavant, vous avez fait le tour de tout le Sénégal pour vous faire une idée exacte de comment vivaient nos compatriotes. Du moins, c’est ce que vous déclariez tout autour de vous. Pendant ce temps, vous nous avez tout promis, vous avez pris les engagements les plus solennels, et nous vous avons fait confiance, en vous portant à la tête de notre pays. Vous avez été officiellement installé le 2 avril 2012 et avez prêtez serment. Un serment dont, apparemment, vous ne mesuriez pas le poids.
Une fois au pouvoir, vous avez pratiquement tout renié. Contrairement à l’un de vos nombreux engagements, vos ministres se bousculent dans la salle où ils se réunissent tous les mercredis, comme du temps de votre prédécesseur. Comme lui, vous ne connaissez pas le nombre de vos ministres, de vos ministres-conseillers, de vos conseillers et conseillers-spéciaux, de vos chargés de missions, de vos ambassadeurs « itinérants », etc. Votre gouvernance est loin, très loin d’être transparente, sobre et vertueuse. La patrie – que j’écris à dessein avec un p minuscule – traîne loin, très loin derrière votre parti, votre famille et votre coalition. Vous nourrissez et entretenez au quotidien et au grand jour, la corruption et les détournements de deniers publics contre lesquels vous nous promettiez pourtant de mener une lutte sans merci. Dès le début de votre gouvernance, vous avez créé, avec beaucoup de tintamarre trompeur, l’Office national de lutte contre la Fraude et la Corruption (OFNAC) et exhumé la Cour de Répression de l’Enrichissement illicite (CREI). On connaît la suite : l’OFNAC a déposé sur la table de votre procureur de la République plus de trente (30) dossiers mettant gravement en cause des hommes et des femmes qui gravitent autour de vous. Depuis 2016, aucun de ces dossiers n’a été traité. En tout cas pas à ma connaissance, comme à celle de l’écrasante majorité des Sénégalaises et des Sénégalais. Vous vous êtes même permis, avec votre ancien Premier ministre Abdallah Boune Dione, de défendre publiquement un des délinquants présumé, qui était et est encore un de vos proches, avec des arguments terre-à-terre et parfois mensongers. Vingt-deux (22) des vingt-cinq (25) de la liste des présumés délinquants dressée par la CREI, après une enquête approfondie, font partie de vos plus proches collaborateurs et exercent des fonctions importantes. Tout ce beau monde continue, sans aucun doute, de piller impunément nos maigres deniers. Il faut quand rappeler que l’impunité, l’impunité totale, est consubstantielle à votre gouvernance meurtrie. Impunité qui ne choque plus personne, ni même cette société dite civile, dont je n’entends aucun membre la dénoncer.
Rappelons quand même, puisque nous Sénégalaises et Sénégalais avons cette fâcheuse habitude d’oublier vite, très vite, rappelons quelques-uns de ces engagements du président-politicien lors de son premier message à la Nation, le 3 avril 2012 : « S’agissant de la gouvernance économique, je serai toujours guidé par le souci de transparence et de responsabilité dans la gestion vertueuse des affaires publiques.
Je mets à ma charge l’obligation de dresser les comptes de la Nation et d’éclairer l’opinion sur l’état des lieux. Je compte restituer aux organes de vérification et de contrôle de l’Etat la plénitude de leurs attributions. Dans le même sens, l’assainissement de l’environnement des affaires et la lutte contre la corruption et la concussion me tiennent particulièrement à cœur.
Á tous ceux qui assument une part de responsabilité dans la gestion des deniers public, je tiens à préciser que je ne protègerai personne. Je dis bien personne ! » Oui, c’est bien lui qui avait pris ces engagements formels, devant toute la Nation. Arrêtons-nous sur celui à « restituer aux organes de vérification et de contrôle de l’État la plénitude de leurs attributions ».
J’ai rappelé le sort, le triste sort réservé aux plus de trente dossiers de l’OFNAC qui dorment d’un sommeil profond sur la table du Procureur de la République. On n’oublie pas, en particulier, l’antipathie que le président-politicien avait à l’endroit de la première présidente de l’Office. Celle-ci avait commencé à faire un excellent travail, et dès qu’il s’est rendu compte que des dossiers en cours concernaient deux ou trois de ses proches, il a commencé à ouvrir carrément les hostilités contre elle. Finalement, comprenant que la présidente refusait carrément d’être influencée dans son travail, et dans quelque sens que ce soit, il la relève de ses fonctions dès la fin de son premier mandat, le 25 juillet 2016. Quelle manière de « restituer aux organes de vérification et de contrôle de l’État la plénitude de leurs attributions » !
Ce n’est pas tout : des dizaines et des dizaines de rapports de l’Inspection générale d’État (IGE), de la Cour des Comptes, de l’Autorité de Régulation des Marchés publics (aujourd’hui Autorité de Régulation de la Commande publique), de l’Inspection générale des Finances (IGF), de la Cellule nationale de traitement des Informations financières (CENTIF), etc., s’accumulent sur son bureau. Des rapports dont il a osé déclarer publiquement et sans état d’âme, qu’il a posé le coude dessus, sinon beaucoup des mis en cause iraient en prison. N’oublions pas de signaler aussi qu’il a chassé l’Inspection générale d’État de la présidence de la République, pour faire place à ses nombreux ministres-conseillers, conseillers-spéciaux, conseillers, etc. Quelle manière de restituer à l’IGE la plénitude de ses attributions ! De ses attributions qui restent les mêmes : aller inspecter, sur ordre, un ministère, une direction, un projet, une agence et lui remettre sagement le rapport, par l’intermédiaire du Vérificateur général. Je me souviens aussi, qu’en juillet 2013, lors d’une visite au Burkina Faso, il a reçu la communauté sénégalaise établie dans ce pays et vantait (déjà) devant elle son bilan. Un journaliste présent lui fit alors la remarque suivante, une remarque pertinente : « Donc, des infrastructures, vous en réalisez, Monsieur le président de la République. Mais le tout n’est pas d’en construire. Il faut aussi tenir compte de leur pertinence et de leur coût. De ce double point de vue, vos infrastructures soulèvent beaucoup de questions ». Il s’expliqua alors partiellement en ces termes : « Ma première mission n’est pas de construire des routes, autoroutes et ponts, mais de reconstruire l’État de droit. Or l’État de droit, on va l’apprécier de façon immatérielle. L’État de droit, ce sont des valeurs, des principes ; c’est l’égalité des citoyens devant la loi, la lutte farouche contre la corruption. »
« L’État de droit, ce sont des valeurs, des principes ; c’est l’égalité des citoyens devant la loi, la lutte farouche contre la corruption. » C’est bien le président-politicien qui a sorti de sa bouche cette déclaration. Je ne la commente vraiment pas. J’en laisse le soin aux lecteurs qui ont du temps à perdre.
Le président-politicien bénéficie de la chance inouïe de régner – c’est le mot qu’il faut – sur un peuple comme celui du Sénégal, qui ne se pose pas beaucoup de questions et passe souvent, indifférent, à côté d’événements méritant pourtant de retenir l’attention. Son « achat à crédit » d’une luxueuse villa à Houston et son curieux voyage à Eswatini son de ces événements.
La présence de cette villa dans le patrimoine entrant du candidat Macky Sall à la présidentielle de février 2012, n’avait pas manqué de soulever des questions, quelque temps après qu’il a été élu. Ses courtisans avaient alors essayé de la justifier en prétendant qu’il l’avait achetée à crédit. Houston, il faut quand même le préciser, c’est une grande ville dans le grand État du Texas, au Sud des États-Unis. Faire plus de sept mille (7000) kilomètres au-dessus de l’Atlantique entre Dakar et New York ! Prendre ensuite un ou deux avions pour se rendre à Houston ! Tout cela pour acheter une villa à crédit, alors qu’on aurait pu l’acheter plus près de nous à Paris, à Bordeaux, à Nantes, à Londres, à Berlin ou à Madrid ! Pourquoi pas à Saly Portudal, à la Somone, à Toubab Djalaw ou dans les vertes et belles îles du Saloum ? Qui va croire à cette histoire ? En tout cas moi, je n’y crois pas du tout.
Rappelons quand même que Macky Sall a été conseiller spécial du président Wade chargé des Mines et de l’Énergie, Directeur général de PÉTROSEN, Ministre des Mines, de l’Énergie et de l’Hydraulique. Il aurait travaillé, en tant qu’expert consultant, avec Forteza international, entreprise dont le siège est justement à Houston. C’est cette entreprise qui exploite le gaz de Ngadiaga. C’est Macky Sall, en tant que Directeur général de PÉTROSEN ou Ministre des Mines et de l’Énergie, en tout cas l’un des deux, qui aurait signé à Forteza le contrat qui lui permet d’exploiter le gaz de Ngadiaga. Qui peut nous empêcher de penser raisonnablement, de penser seulement, que c’est Forteza international qui lui a offert la fameuse villa. Dommage que nous ne comptions pas beaucoup de journalistes d’investigations au Sénégal !
L’autre événement, c’est son curieux voyage en Eswatini (ancien Swaziland) en juillet 2018 et de celui du roi de ce pays à Dakar, du 4 au 6 juillet 2019. Un communiqué de la Présidence de la République nous apprenait alors que ce séjour de Sa Majesté Mswati III s’inscrivait dans le cadre de la volonté de Macky Sall et de son hôte de « raffermir davantage les excellentes relations d’amitié et de coopération entre la République du Sénégal et le royaume de l’Eswatini ». Et le communiqué de poursuivre que le président Sall aura à échanger avec Sa Majesté Mswati III «sur des sujets d’intérêt commun au plan bilatéral». Le communiqué nous apprend aussi que ces sujets ont certainement été abordés lors de la visite du Président de la République dans ce royaume en juillet 2018. En effet, après son séjour à Johannesburg, en Afrique du Sud, où il a participé au Sommet des pays membres du BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) en tant que Président du Comité d’orientation des chefs d’État et de gouvernement du Nouveau partenariat pour le Développement de l’Afrique (NEPAD), le président Macky Sall est allé rendre visite au souverain avec qui il a discuté des perspectives de coopération bilatérale entre leurs deux pays.
Ce président-politicien a beau nous prendre pour des moins que rien, mais il ne peut pas nous empêcher de nous poser cette question : « Quelles perspectives de coopération avec cette monarchie absolue, la dernière d’Afrique, ce pays pauvre dépendant, sur le plan économique, presque totalement de la République d’Afrique du Sud, avec un roi marié à 14 épouses et régnant en maître absolu depuis au moins trente (30) ans ? ». Ce voyage, nous l’aurions compris au Botswana, en Tanzanie ou à la rigueur au Malawi. Mais en Eswatini, il pose sérieusement problème. En République d’Afrique du Sud à côté, on soupçonnait l’ancien président Jacob Zuma, accusé de corruption et en jugement devant les tribunaux du pays, d’avoir planqué de l’argent dans les banques de ce pays. Je n’accuserai pas le président-politicien du même forfait, mais je me pose la question de savoir ce qu’il allait faire dans ce petit royaume, faisant partie des trois derniers pays du monde les plus pauvres, et qui est considéré de plus en plus comme un paradis fiscal.
Nous nous posons de nombreuses autres questions sur cette infecte gouvernance du président-politicien, qui est à mille lieues de celle qu’il nous avait promise et pour laquelle nous lui avions accordé 65% de nos suffrages le 25 mars 2012. Je ne veux pas aller plus loin dans ce texte qui est déjà long. Dans une toute prochaine contribution, je m’arrêterai sur une question qui cacherait l’un des plus gros scandales, peut-être le plus gros de la gouvernance de cet homme qui règne en maître sur notre pays depuis le 2 avril 2012. J’interpellerai alors, pour terminer, certains hommes comme certaines femmes qui, par leurs fonctions, pourront installer notre pays dans la paix, la stabilité ou, au contraire, dans le chaos total. Tout dépendra du choix qu’ils feront entre les intérêts d’un homme, et peut-être des leurs propres, et ceux des dix-sept (17) ou dix-huit (18) millions de Sénégalaises et de Sénégalais.
Dakar, le 12 septembre 2022
Mody Niang