Citoyens et analystes tirent à boulets rouges sur le HCCT !
Le Témoin a recueilli les opinions de citoyens par rapport au Hcct et donne la parole aux analystes politiques Mamadou Sy Albert, enseignant à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad), Bacary Domingo Mané, journaliste.
Le Haut conseil des collectivités territoriales (Hcct), dont le mandat des membres tire à sa fin, est au centre de polémiques et critiques de tous bords. L’institution est jugée inutile et budgétivore par de larges secteurs de l’opinion. Lynchés par l’opposition, les membres du Haut conseil sont sortis de leur réserve à travers une conférence de presse qu’ils ont tenue avant-hier, mardi, pour défendre leur institution dont ils ont vanté le travail durant les cinq ans de son existence. Le Témoin a recueilli les opinions de citoyens par rapport au Hcct et donne la parole aux analystes politiques Mamadou Sy Albert, enseignant à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad), Bacary Domingo Mané, journaliste.
Le constat est largement partagé. La plupart de nos compatriotes n’accordent pas une importance particulière à certaines institutions de la République. Selon ces citoyens que nous avons rencontrés, ces institutions, dont ils ignorent même l’existence, n’ont aucun impact sur leur quotidien. Et n’auraient été créées qu’à des fins politiques pour récompenser des frustrés de la majorité présidentielle afin de les retenir dans celle-là. C’est en tout cas l’idée que se font beaucoup de nos compatriotes sur le Haut conseil des collectivités territoriales. Des citoyens pas du tout convaincus par les arguments du premier vice-président de cette institution, Maël Thiam, qui défendait lors de cette rencontre avec la presse, l’utilité de l’institution à travers des résultats « tangibles » obtenus selon lui en si peu de temps.
Le Hcct, une institution de trop parmi tant d’autres, bannies par les Sénégalais !
Babacar Mbengue est un garagiste établi au rond-point de Liberté 6. Le jeune homme ignore jusqu’à l’existence du Hcct. D’après lui, toutes les institutions qui n’ont aucune utilité doivent être dissoutes. « Il y a trop de structures qui ne servent absolument à rien. Au moment où il y a une extrême pauvreté dans les ménages, les politiciens se permettent de gaspiller de l’argent. La mal gouvernance, elle est partout. Comme on l’a fait avec le Senat, avec le Conseil économique social et environnemental et ce truc dont vous m’apprenez l’existence (Ndlr, le Hcct), toutes ces institutions doivent être supprimées. L’argent de leur fonctionnement doit revenir au panier de la ménagère sénégalaise pour que les populations sentent l’amélioration de leurs conditions de vie », dit le garagiste. Son collègue, Abdou Lam, partage le même avis. A l’en croire, ce sont les politiciens qui ont donné de nos institutions de la République une mauvaise image et où le népotisme et le clanisme règnent le plus souvent. « Je m’inquiète vraiment sur le fonctionnement de certaines de nos institutions. Pour moi, c’est de la répétition de parler de député et de conseiller du Hcct. Tous ces gens font la même chose et, très souvent, ils sont mis dans de bonnes conditions de vie. Très peu d’entre eux se soucient du peuple. Ça a toujours été comme ça. Et ce n’est pas aujourd’hui que cela va disparaitre », se désole le nommé Abdou Lam.
Recasement et récompense de clientèle politique !
Dans un pays où le coût de la vie est devenu très cher avec la flambée des prix des denrées de consommation courante, certains de nos compatriotes s’étonnent de voir l’existence d’institutions qu’ils jugent inutiles. Presque tous nos interlocuteurs disent la même chose à savoir que les institutions qui n’ont aucune utilité devraient disparaitre. Croisé à l’Office du baccalauréat, l’étudiant en master 2 à la Faculté des lettres et des sciences humaines (Flsh) de l’Université Cheikh Anta Diop, Amadou Cissokho, soutient que le Haut conseil des collectivités territoriales Hcct a été créé juste pour récompenser le Parti socialiste (Ps) de son ralliement à la coalition Benno Bokk Yaakar (BBY) en 2012. Ce après que l’Alliance des Forces du progrès (Afp) a été récompensée à travers son leader, Moustapha Niasse, qui a hérité de la présidence de l’Assemblée nationale. « Si vous vous rappelez, le président du Hcct c’était le défunt secrétaire général du Parti socialiste, (Ps), Ousmane Tanor Dieng. Macky Sall, pour le récompenser de son soutien, l’avait nommé à la tête de cette institution. Le Haut conseil des collectivités territoriales n’existe que de nom. Quel travail ces conseillers ont-ils fait et qui se soit traduit par l’amélioration du vécu des citoyens ? », Interroge l’étudiant.
Quand la société civile réitère sa position de 2016 sur l’impertinence de la création du Hcct !
Les associations de la société civile n’ont pas, elles non plus, raté le Haut conseil des collectivités territoriales. Le collectif qui les regroupe réclame d’ailleurs le bilan des six ans d’existence du Haut conseil des collectivités territoriales (Hcct) avant le renouvellement de cette institution prévue le 4 septembre prochain. Dans un communiqué, l’ONG 3D, la RADDHO, le Réseau Siggil Jigen, la LSDH, l’ONDH, le Forum du justiciable, l’URAC, l’AJED, l’ANAFA, CERAC, Handicap forum educ, autant d’organisations de la société civile, interpellent les acteurs politiques de l’opposition comme du pouvoir à s’assoir autour d’une table pour se pencher sur la nécessité d’aller ou non à des élections pour le choix des hauts conseillers des collectivités territoriales prévues le 4 septembre 2022 prochain. « En cette veille de renouvellement des membres de cette instance, le COSCE (Collectif des organisations de la société civile électorale) tient à rappeler sa position et invite les parties prenantes à faire le bilan des six ans d’existence de cette assemblée consultative dont l’utilité a toujours été remise en cause par une bonne partie des Sénégalais » écrivent ces organisations dans un communiqué. Elles rappellent qu’ en 2016, « lors de la création de cette institution à travers le référendum du 20 mars 2016 et la Loi organique n 2016-24 du 14 juillet 2016, la société civile tout comme l’opposition avaient défendu l’impertinence d’une telle structure qui, de surcroît, devait coûter plusieurs milliards de francs CFA au budget de l’Etat, dans un contexte de raréfaction des ressources’’.
MAMADOU SY ALBERT, ANALYSTE POLITIQUE: « Il n’y a pas de consensus politique sur les institutions»
Le Haut Conseil des collectivités territoriales est une structure à vocation consultative créée par le président de la République pour les questions qui touchent aux politiques publiques plus particulièrement à la décentralisation. Ses membres rendent des avis publics sur des questions précises de la décentralisation, de pouvoir local, de gouvernance locale et des projets de développement. Mamadou Sy Albert note une absence de consensus entre le pouvoir et l’opposition quant à la nécessité de mettre en place le Haut conseil des collectivités territoriales. A l’en croire, c’est le même problème qui existe pour le Conseil Constitutionnel pour l’organisation des élections au Sénégal. « Le fond du débat est qu’on n’a pas encore trouvé de consensus sur les institutions, que ce soit le Conseil économique social et environnemental, le Haut conseil des collectivités territoriales que ce soit même sur l’Acte 3 de la décentralisation. Il n’y a pas de consensus politique sur les institutions. Globalement, il y a un problème de consensus sur les institutions de la République. Pour ce qui concerne le Haut Conseil, la difficulté qu’on a c’est qu’il devient une structure politique de recasement des élus de la majorité présidentielle. Si on regarde vraiment la physionomie de l’actuel Haut conseil, il est composé pour l’essentiel d’élus de l’Apr ou de Benno. Le président choisit 70 élus. Il n’y a que 80 élus qui sont désignés par les élus locaux. Le fait qu’on permette au président de choisir la moitié de la composition du Haut Conseil constitue une entorse démocratique. Il y a également des implications budgétaires puisque ces institutions consomment énormément d’argent. Et on ne voit pas leur utilité » analyse Mamadou Sy Albert. Le boycott par l’opposition des élections pour le choix des membres du haut conseil des collectivités territoriales va encore ternir davantage l’image de cette institution. Ça va encore créer beaucoup plus de tensions entre le pouvoir et l’opposition, selon Mamadou Sy Albert. « Il faut déplorer les lenteurs liées à l’organisation des élections au Sénégal. Les Locales ont été reportées plusieurs fois. Les législatives ont failli être reportées. Le Haut Conseil est dans cette dynamique. Parce qu’on ne maîtrise pas le calendrier électoral. Je pense que l’opposition a raison de critiquer le Haut conseil par l’absence de respect d’un calendrier républicain » a ajouté l’enseignant-chercheur et politologue Mamadou Sy Albert.
BACARY DOMINGO MANÉ, JOURNALISTE ET ANALYSTE POLITIQUE : « Pourquoi le Haut conseil des collectivités territoriales est vu comme une chose inutile »
Chaque année, les institutions rendent des rapports sur les questions dont elles ont été saisies ou ayant fait l’objet d’une auto-saisine de leur part. Pour le journaliste Bacary Domingo Mané, on ne peut pas dire que ces institutions n’effectuent pas correctement leur travail malgré leur composition dominée par la majorité présidentielle. A en croire notre interlocuteur, c’est plutôt l’état qui range les rapports produits par ces institutions dans des tiroirs. « Il y a en leur sein des experts qui réfléchissent sur les problématiques qui concernent la marche du pays. A partir de ce moment, l’Etat ne doit pas mettre leurs conclusions dans les tiroirs. Au contraire, il doit voir dans quelle mesure les recommandations doivent être prises en charge. Hélas, généralement, ce que nous constatons, est que ces rapports produits annuellement restent dans les tiroirs. L’Etat n’en fait presque rien du tout. Cela dit, le Hcct et certaines autres institutions sont mises en place pour caser la clientèle politique. On en fait un instrument politicien. C’est pourquoi, je ne vois pas vraiment l’utilité de cette institution qu’est le Hcct dans le fonctionnement de l’Etat » regrette le journaliste et analyste politique Bacary Domingo Mané. Selon lui, le boycott par l’opposition de cette institution la décrédibilise davantage. « Que l’opposition refuse de participer à l’élection de ses membres en brandissant comme argument qu’elle est une institution inutile, ça la décrédibilise davantage. Les faits et les gestes des membres qui la composent donneront raison à l’opposition » estime en conclusion Bacary Domingo Mané.
Silèye MBODJI